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La légitimité démocratique

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Sciences politiques et sociales Fiche de lecture : La légitimité démocratique, Pierre Rosanvallon (2008) Introduction Pierre Rosanvallon est un historien, sociologue et intellectuel français de la seconde moitié du XXème siècle. L’ancien syndiqué de la CFDT (confédération française démocratique du travail) traite des sujets relatifs à l’Histoire de la démocratie, au modèle politique français, le rôle de l’Etat, la question de la justice sociale dans nos sociétés modernes. La légitimité démocratique est un de ces derniers ouvrages, paru en 2008. Professeur au Collège de France, il est également directeur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). « Onction populaire des gouvernants » ; expression qui semble d’ailleurs loin des représentations nationales actuelles, alors que la réflexion philosophique du sociologue français répond de cette situation, la défiance politique de la population ne s’est rarement autant fait sentir. L’œuvre de Rosanvallon s’inscrit dans la décennie 2000 lors de laquelle, les deux élections présidentielles ont suscité de vives interrogations : face à la montée du Front national au deuxième tour en 2002, et la victoire de Hollande en 2012 avec « l’antisarkozysme ». De plus, les difficultés entrevues à l’échelon national se sont enchevêtrées aux problématiques d’ordre européennes. L’UE manque aujourd’hui d’une reconnaissance de son ordre juridique alors que ces élections sont souvent empreinte d’une abstention record, et dont la gouvernance est très critiquée. A côté, la modification du calendrier électorale et la réforme du quinquennat ont, entre autre, donné un nouveau sens à l’élection et est aujourd’hui en crise. Ces instruments de rationalisation du parlementarisme ont joué un rôle sur les grands débats démocratiques : la question de la majorité et du fait majoritaire, le contrôle politiques des citoyens, la place de l’Administration etc. Tous ces débats qui ont déjà été eux même au centre de la démocratie depuis sa fondation moderne en France en 1789. La première partie du livre à laquelle nous avons consacré cette analyse porte sur l’évolution et la révolution de la légitimité démocratique. Plus précisément, l’historien se penche sur la crise de la double légitimité. Nous nous pencherons tout d’abord sur la thèse et les arguments de l’auteur pour en dégager par la suite un commentaire de ces arguments sur la base de cette même analyse. I / Thèse et arguments Rosanvallon soutient la crise première de ce qu’il appelle « la légitimité d’établissement », c’est-à-dire l’élection. Cette crise est importante et est développée en premier car elle est plus ancienne que la seconde. Celle que l’auteur appelle « la légitimité d’identification à la généralité » correspond à la légitimité administrative. Le sociologue français soutient que ces deux légitimités et leurs évolutions consacrent aujourd’hui une crise à laquelle il convient de répondre en déconstruisant les crises de ces deux formes de légitimités. Considérant la légitimité d’établissement, elle fut longtemps considérée comme l’expression « d’un consensus apparent » de par la nécessité et la volonté d’unanimité. Dessin d’un monde passé, le vote, développé dès la Grèce antique, était l’instrument de l’affirmation d’appartenance à une communauté et plus généralement à la société. De plus, il était vu comme un rituel de communion dans lequel le bien commun s’imposait comme « une donnée morale et sociale immédiate ». Remarquant la problématique autour de la décision démocratique, la majorité fut instaurée. C’est au XIIème siècle, au troisième Concile de Latran que l’Eglise décide d’appliquer la règle de la majorité des deux tiers pour l’élection du pape. En effet, de trop nombreux schismes et tensions avaient affaibli l’Eglise. Puis au moment de la Révolution française, l’Abbé Sieyès a théorisé la représentation. Seulement, il choisit la méthode la fiction juridique pour définir comme équivalent la décision unanime à la décision majoritaire. Ayant considéré la définition anglo-saxonne de la volonté générale (somme des intérêts particuliers), le clérical a laissé indéterminé le sens de l’adoption de la règle majoritaire par les institutions et ainsi la légitimité des gouvernants. Pour le professeur du Collège de France, l’événement de 1848, avec l’élargissement brutal de l’électorat français (passant de centaines de milliers à près de neuf millions de citoyens), relèverait plus de la dynamique d’un retour aux anciens idéaux d’expression unie d’une communauté. La majorité reste encore, du à un apprentissage démocratique récent, extérieure à la représentation du domaine politique. L’auteur explique ce phénomène par la multiplication, et ce sur tout le globe, des phénomènes plébiscitaires. Rosanvallon peint la crise de la légitimité d’établissement comme une donnée qui a été impensée dans sa pratique. Si l’importance de l’élection est ébranlée, sa légitimité juridique est intacte. En revanche, une désacralisation du vote prendra forme dès les débuts du désenchantement avec les débuts de l’antiparlementarisme et les interrogations radicales au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Considérant la légitimité d’identification à la généralité, l’auteur souligne qu’il s’agit d’un aspect important de la démocratie et que son émancipation fut plus tardive. En effet, l’émergence d’un pouvoir administratif était une forme de participation directe du peuple dans la vie politique du pays. Elle se construit de manière différente. C’est en Angleterre en 1850, que l’Administration connaît un début d’autonomie. Le sociologue français choisit d’opposer le modèle américain au français. Le premier, s’est construit sur la réponse du problème de la corruption et le second sur le problème de la compétence. Rosanvallon développe la théorie de Duguit et de l’Etat comme entité de coopération de services publics organisés. Cette vision est en rupture avec le modèle rousseauiste et affirme le travail objectif de reconnaissance des besoins de la société dérivés de ses formes d’organisations et de sa nature. Ainsi le fonctionnaire, du fait de l’importance de son rôle, doit bénéficier d’un statut dans son intérêt et dans l’intérêt du service. L’émergence du pouvoir administratif s’est faite sur le modèle d’une décentralisation consistant à déléguer à des agents reconnus pour leurs qualités professionnelles des missions de services publics. En ce qui concerne les Etats-Unis, les partis politiques à la fin du XIXème siècle, jouissant d’une telle contestation, voient leur pouvoir réduit face à cette nouvelle Administration. Tel en témoigne le « Pendleton Act » de 1883. Forme la plus extrême de la privatisation de la chose publique, la corruption se voit attaquée par l’établissement d’une Administration, comme un contre-pouvoir ayant pour mission la poursuite de la réalisation de l’intérêt général. A partir de 1918, l’Administration évoluera généralement en terme de procédures et d’organisation. La vraie rupture s’observe au moment du « New Deal ». Les fonctionnaires tirent une légitimité nouvelle : du fait de leur compétence. L’apparition de l’ENA (école nationale d’administration) en France en 1945, constitue la création d’un savoir « en instrument de reconnaissance et de pouvoir ». En effet, du concours, les fonctionnaires se voient conférer une légitimité propre du fait de l’épreuve qu’ils ont subi. Et malgré la subordination nécessaire de l’Administration à la politique, « les rythmes propres à l’élection » constituent des mandatures courtes comparées aux mandatures de l’Administration, à savoir le fonctionnement du pays. Et donc l’historien soutient, par l’intermédiaire d’un autre auteur ; Simon Nora, que la haute fonction publique est « gardienne du long terme ». Enfin, l’apparition d’une économie de masse à complexifier le monde. Pour le sociologue, le monde industriel a contribué à développer de nouvelles appréhensions de l’identité des individus et à de nouvelles représentations de l’émancipation et de la justice. En effet, depuis les débuts de la Vème République, l’enjeu des droits de l’Homme a vu son importance grandir. Rosanvallon met ici en lumière les réponses amenées par le toyotisme : une plus grande place pour les ouvriers par un décloisonnement des fonctions et responsabilités (une certaine reconnaissance psychologique des travailleurs). Dans le même temps, la logique néolibérale des années 1980 a transformé les structures de pouvoirs. La nouvelle gestion publique induite consiste en une diminution du pouvoir de l’administration. La supériorité de la compétence des hauts fonctionnaires n’est plus considérée comme significative et la légitimité morale, conférée par leur désintéressement, ne semble plus convaincre les citoyens. Enfin, la place toujours plus importante des minorités dans les débats publics a permis de déconstruire la notion arithmétique de la majorité. Cette nouvelle donne, associée à la baisse d’importance du programme politique, a contribué à la désacralisation de l’élection. II / Commentaire Pierre Rosanvallon a inscrit son œuvre dans la continuité de ces écrits politiques. Le précédent ouvrage traite de La contre-démocratie (paru en 2006), lequel souligne l’évolution de la vie politique française, dont la société connaît des tensions. L‘activité « contre-démocratique » mobilise des moyens plus large que le contrôle électoral traditionnel (ex : manifestations violentes du projet de barrage à Sivens). Correspondant à la montée d’une certaine défiance vis-à-vis des politiques et à une fragilisation des institutions, le sociologue développe dans son ouvrage l’importance de l’appareil administratif. Ces précisions interviennent dans un travail de réflexion continue, englobant plus généralement la crise de la démocratie et la question de sa refondation. La mise en lumière de la constitution d’un pouvoir administratif à la fin du XIXème siècle comme réponse à la diminution de la légitimité électorale montre la précaution de l’auteur à nous faire comprendre la complexité de la construction de la démocratie en France. D’autre part, la place qu’a prise le fait majoritaire en France connaît, depuis la réforme du quinquennat en 2000, une conséquence plus forte qu’elle n’avait avant. L’historien soulève donc une problématique connue mais dont la portée a récemment changé et mérite donc réflexion. La baisse de l’importance du programme politique tient essentiellement de ce fait. Avec l’avènement d’un électeur plus stratège car mieux éduqué, les votes changent de nature et deviennent des votes « utiles ». La couleur politique présidentielle élue se retrouve confirmée par les élections législatives, au nom d’une cohabitation non souhaitable. Cet argument est vérifiable sur les 3 dernières élections présidentielles en France (2002, 2007 et 2012). Ainsi, l’opposition bien qu’active est impuissante, le régime parlementaire présidentialiste français ne permettant pas à l’opposition de poser une motion de censure sans risquer une dissolution. La modification du calendrier électoral a modifié le jeu politique et fortement amplifié le fait majoritaire. Le choix de développement sur le fait majoritaire de Rosanvallon dans son ouvrage souligne cette problématique de manière importante. L’intellectuel français a néanmoins omis d’intégrer dans son développement sur la légitimité, quelques éléments regroupés autour de l’axe « légitimité-responsabilité-pouvoir ». Dans un système démocratique, une institution puissante se doit d’être légitime et responsable. Garanties d’un bon fonctionnement institutionnel, ces conditions s’expriment autour : du président de la République, de l’Assemblée nationale, du gouvernement etc. Or, il semble que l’auteur se soit principalement focalisé sur les carences du fait majoritaire, et moins sur les aspects de responsabilité dans le système institutionnel. On peut ainsi soulever la question des programmes politiques. Pourquoi un candidat, élu sur ces convictions mises en œuvre dans un programme politique, n’est-il pas tenu par ses engagements contenus dans ce programme ? En effet, les débats houleux de la Révolution française sur les questions du mandat impératif avaient déjà rejeté les tentatives de responsabilités politiques poussées (responsabilité parlementaire). Mais le contexte a changé, les acteurs du pouvoir se sont multipliés et leur marge de manœuvre est beaucoup plus grande aujourd’hui qu’à la fin du XVIIIème siècle. Et si il existe une responsabilité politique concernant le Président de la République, elle reste limitée (uniquement pénale et non politique) et s’exprime avant tout par la responsabilité de l’exécutif. Au regard la complexité de la question, les insuffisants débats ont relégué le débat de la responsabilité politique en arrière plan alors que celles-ci mériterait une réflexion centrée et des recherches sur les possibles solutions futures. L’autre axe de réflexion concerne le pouvoir et son rapport à la responsabilité et à la légitimité, nous nous attarderons sur la deuxième. Lorsqu’une institution connaît une légitimité forte, elle concentre des pouvoirs importants. Considérant la faiblesse de la légitimité : établie à un moment précis grâce au vote, dans un laps de temps très court, elle confère pourtant sur une période, certes définie, une possibilité de pouvoir qui ne changera pas au cours de la période. Contrairement aux présupposés sur le pouvoir de l’élection, la légitimité est mouvante. Au cours de la mandature, l’Homme politique peut être contesté ou plébiscité. Sa légitimité ne sera donc jamais la même, mais par nécessité pratique, le vote confère une condition matérielle à l’existence de la légitimité qui n’est établi qu’une fois et ne peut être remise en cause par une autre élection au cours de ce mandat. Dans le même temps, la décentralisation (surtout depuis les lois Deferre de 1982) a participé à l’amélioration de cette situation en augmentant la portée politique des élections à l’échelon nationale. Cependant, si les résultats des élections nationales peuvent modifier le rapport de force entre majorité et opposition, elles ne peuvent qu’avoir une portée globale et n’iront pas modifier la composition d’institution centrale comme l’Assemblée nationale, par exemple. Il convient en effet de rappeler que dans le contexte de crise économique et de défiance politique, le vote contestataire devient important mais reste difficile à établir précisément. Si l’on considère les pratiques de remaniement ministérielles pratiquées au lendemain d’élections, on verra que dans le discours médiatique elles existent (lors des élections européennes de mai 2014) mais qu’elles ne sont pas forcément suivies. C’était le cas pour ces dernières, également suit à la défaite du Parti Socialiste (PS) aux élections cantonales de 2013 et aux élections départementales de mars 2015. Ainsi, le remaniement ministériel entrepris par François Hollande début 2014 fait suit à de fortes divergences à l’intérieur de son gouvernement l’obligeant à établir une nouvelle équipe gouvernementale. On pourrait dire que cela ressemble à un mécanisme de responsabilité, mais cela reste très théorique étant donné son absence en terme juridique (son caractère obligatoire). Il est donc correct de soutenir que l’élection ne concentre plus qu’une légitimité instrumentale. Cette analyse complétée par une réflexion conjointe sur la responsabilité et le pouvoir à côté de la légitimité aurait sûrement permis d’élargir la compréhension des phénomènes de crise de la « double légitimité ». Une partie sur la responsabilité aurait complétée les explications sur la crise de la légitimité électorale (échec du mandat impératif, absence de responsabilité politique, programme politique sans portée juridique etc.) et, celle sur le pouvoir aurait sûrement mis en lumière la crise de la légitimité d’identification à la généralité (implication du système néolibérale, la nouvelle gestion par la gouvernance etc.)
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